The Language of Plants

Science, Philosophy, Literature

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Collectif

  • Pages : XXXIII-313
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  • Édition : Originale
  • Ville : Minneapolis
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  • ISBN : 978-1-5179-0185-1
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  • Date de création : 12-07-2019
  • Dernière mise à jour : 03-06-2021

Résumé

Français

Cet ouvrage collectif fait le point sur l'ensemble des discours actuellement tenus autour de la question du langage des plantes. Peut-on raisonnablement parler de langage pour le monde végétal ? Les plantes communiquent-elles entre elles et avec les autres êtres vivants ? Dans la mesure où l'organisation des plantes diffère de celle de l'animal, comment le monde végétal se structure-t-il ? Et comment dire le monde des plantes sans en dénaturer l’architecture ? Voici une synthèse des questions auxquelles chaque auteur de ce collectif apporte des pistes de réflexions, en mobilisant les dernières découvertes en sciences humaines et naturelles. Car un tel sujet amène forcément à travailler dans l'interdisciplinarité. C'est pourquoi cet ouvrage se divise en trois parties, chacune se focalisant sur un champ d'étude particulier. La première partie prend la direction de la science (pp. 3-100), la seconde mobilise la philosophie (pp. 103-190), et la troisième partie développe une analyse littéraire du langage des plantes (pp. 193-296).

Ainsi donc, « science, philosophie et littérature » comme sous-titre de ce livre, mais également comme l'expression du nécessaire dialogue interdisciplinaire qu'impose l'étude du langage chez les plantes. Si l'on peut voir dans cette tripartition une hiérarchisation des savoirs, la science arrivant en premier et la littérature étant secondarisée, l'introduction nous met en garde contre cette appréciation (p. XXI-XXII). Le dialogue qui est ici convoqué doit être un dialogue dynamique et non pas hiérarchique, il doit générer une réflexion éloignée de tout dogmatisme, ceci en soulignant les échanges historiques et conceptuels qui n'ont jamais cessé de se produire au carrefour de ces trois champs disciplinaires.

La science permet d'améliorer notre connaissance empirique du monde végétal. S'il est important de veiller à la tenir à distance de toute idéologie, la science explique ce que nous ne voyons généralement pas, comme c'est le cas par exemple de la biologie cellulaire. C'est ce qu'indique Richard Karban en détaillant l'amplitude perceptive dont les plantes sont capables, celle-ci étant très vaste et allant de la perception chimique à la perception auditive, en passant par la perception lumineuse, tactile, thermique, ou encore électrique (chapitre 1). Robert A. Raguso et André Kessler propose, à travers un passage en revue de la communication chimiques chez les plantes (chapitre 2), d'observer la matérialité des échanges végétaux. Grâce à une gamme de signaux chimiques modulables – on parle de composés organiques volatiles (COV) –, les plantes parviennent à s'échanger de véritables « poignées de main » (p. 32). Il leur est possible de faire varier la teneur de l'information échangée en jouant sur l'intensité des particules chimiques émises. Cette communication nous demeure invisible mais existe pourtant bel et bien, et mobilise des interactions entre espèces de règnes différents puisque les plantes ne dialoguent pas exclusivement avec d'autres plantes, mais également avec certains animaux. Par exemple, lors d'une attaque d’herbivores, une plante peut libérer un certain type de particules volatiles qui sont alors réductibles à la présence de ces herbivores. Ces particules pourront alors être discriminées par les prédateurs de ces herbivores, et la plante sera protégée des attaques des premiers. On le voit, le message qu'elles envoient peut se diversifier, mais les plantes sont relativement dépendantes de leur environnement (p. 15).

De même, poursuivant cette lecture empirique du monde invisible des plantes, le spectre d'absorption des feuilles est un canal pour une communication diversifiée parmi les plantes (chapitre 3). Elles peuvent par exemple repérer la présence d'un congénère en détectant les émissions de lumière autour d'elle. En effet, les feuilles absorbent essentiellement les raies de lumière rouge clair mais réfléchissent la lumière rouge sombre. Or, si une plante détecte un trop plein de lumière rouge sombre dans son environnement, cela signifie qu'un autre congénère est déjà présent, ce qui la conduira généralement à se déplacer plus loin afin d'éviter un conflit de territoire et de se développer plus librement.

Enfin, Monica Gagliano, qui a notamment travaillé sur les facultés auditives des plantes, découvertes qui représentent une étape supplémentaire dans notre étude du monde invisible des plantes, développe ici une analyse de la nature du langage largement orientée vers une perspective épistémologique (chapitre 4). Cette approche permet de faire le lien entre une première partie scientifique et une deuxième partie tournée vers la philosophie.

Plutôt qu'une aptitude intellectuelle exclusivement réservée à l'être humain, l'auteur propose de penser le langage comme une caractéristique percevable qui est au cœur des interactions entre l'organisme et son environnement (p. 87). De là il devient possible de penser le langage comme un phénomène présent partout dans le règne vivant. Certains langages pourront ainsi avoir évolué conjointement, comme c'est le cas de la communication inter-règne qui mobilise les fleurs et leurs insectes pollinisateurs. Effectivement, le lilas peut modifier la forme et la couleur de ses fleurs déjà pollinisées, dans le but d'attirer les insectes vers ses autres fleurs non encore pollinisées (p. 90). Il a fallu que la plante s'adapte au comportement des insectes pollinisateurs, et que ces derniers répondent positivement à ces signaux nouvellement émis par leur plante hôte.

Dans la deuxième partie de cet ouvrage, la question du langage est étudiée à travers le prisme de la philosophie. Il s'agit alors de se demander comment traduire le langage des plantes à l'échelle des plantes, sans verser ni dans l'anthropocentrisme, ni dans le phytocentrisme, lesquels flouteraient la réalité vivante du monde végétal. Comment traduire le langage des plantes à partir de notre perception humaine (p. 103) ? Voilà la question que pose Michael Marder en tête de son papier (chapitre 5). Il est important de partir de données empiriques pour être en mesure ensuite de proposer un concept correspondant à la réalité observée, et c'est pourquoi il est nécessaire de passer par la science avant de développer des théories philosophiques. Aussi l'auteur note-t-il que « le paradoxe de la science des plantes du XXIe siècle est qu'elle prépare le terrain pour penser le langage et l'intelligence chez les plantes, alors qu'en même temps elle fait disparaître la plante comme être vivant cohérent possédant son propre sens en la réifiant (p. 118) ».

L'auteur propose donc quatre traductions possibles au langage des plantes qui ne le réduisent pas à une perspective anthropocentrée : le langage des fleurs ; la figure des « arbres parlant » (the figure of « talking trees ») ; la communication biochimique entre les plantes ; et la participation des plantes au langage des choses (pp. 104-105).

D'une manière générale, la question du langage amène deux enjeux ; d'abord celui de la définition à accorder au concept « langage » ; ensuite celui de la nature des concepts utilisés pour la description d'un phénomène. C'est dans le but de clarifier ces enjeux que Nancy E. Baker a réinvesti le travail linguistique de Wittgenstein dans un chapitre portant sur la signification des mots. Peut-on penser un langage type, absolu, valant pour tous les êtres vivants ? Peut-on trancher définitivement la question du langage chez les plantes ? « Wittgenstein pense que le sens d'un mot ne jaillit pas d'une action, d'un objet ou d'un événement auxquels renvoie ce mot, mais qu'il est plutôt réduit à son usage contextuel », rappelle l'auteur (p. 138). On pourrait, en ce sens, contester l'usage définitif et généralisant des concepts lorsqu'ils sont utilisés pour décrire une situation singulière. D'une part, le langage ne semble pas être en mesure de décrire la réalité objective puisqu'il est toujours contextuel, et d'autre part le langage est pris dans le comportement de celui qui parle, le langage pouvant alors être compris comme une certaine manière d'agir. Grâce à cette relecture wittgensteinienne du langage des plantes, l'auteur nous explique que, s'il n'est pas pertinent de parler de « langage » pour les plantes sur le modèle du langage humain, cela ne revient pas à dire que les plantes manquent de langage. Il faut, au contraire, adopter une posture humble et reconnaître que la réalité du monde végétal nous est tellement étrangère que nos concepts sont impuissants pour en rendre compte. Cependant, en tant que comportement particulier, le langage paraît concerner l'ensemble des êtres vivants qui agissent dans le monde d'après des motifs particuliers.

Enfin, on voit bien que dernière ces réflexions philosophiques se tiennent des enjeux éthiques évidents. Dans un chapitre très narratif, Karen L. F. Houle attire notre attention sur les conséquences éthiques qui découlent de notre usage du langage (chapitre 8). Parler n'est pas neutre. Comme elle l'explique, le langage est acteur de la façon dont nous constituons le monde et autrui (p. 160). Contestant l'usage que nous faisons du terme de « justice », l'auteure en appel à une forme de justice qui ne soit pas exclusivement distributive. La nature n'est pas un fond de ressources dont nous pourrions jouir à notre convenance. Il faut faire droit à un autre type de justice qui sache reconnaître l'existence propre de chaque être vivant.

Se concluant par le champ de la littérature, l'ouvrage propose de retracer l'imaginaire collectif qui s'est agrégé autour des plantes, notamment en ce qui concerne la question du langage. Isabel Kranz réalise une généalogie du fameux « langage des fleurs » (chapitre 10). Il s'agit pour l'auteure de montrer que la culture populaire, laqulle a alimenté ce « langage », n'est pas radicalement opposée à la culture scientifique. Ce chapitre indique les croisements qui se sont opérés entre ces deux types de cultures, en montrant que la classification théorisée par Linné attribuait déjà un surplus de sens sur les formes et couleurs des fleurs (p. 195). L'auteur explique donc, en citant Michel Foucault, que les discours scientifiques et littéraires fonctionnaient autrefois de concert. Ce n'est qu'à l'âge classique, pour parler comme Foucault, que le langage scientifique s'est distancé du langage littéraire. Selon l'esprit des Lumières, le langage doit se détacher des objets qu'il représente pour exprimer leur nature propre (p. 208). C'est à ce moment que se sont séparés en sciences le signifié et le signifiant, chose qui n'a pas eu lieu en littérature, la science ayant affaire aux noumènes quand la littérature traiterait des phénomènes.

Ressentant le besoin heuristique de conjuguer discours scientifique et littéraire, Patricia Vieira propose le concept de phytographie pour exprimer la nature véritable de cette « langue » végétale (chapitre 11). Si ce concept est nouveau, il s'appuie sur un héritage conséquent. De la signatura rerum de Jakob Böhme, pour qui chaque être vivant possède une signature qui lui est propre, laquelle est tracée de la main de Dieu, en passant par la thèse du « langage des choses » de Walter Benjamin, et reprenant le concept d' « archi-écriture » de Derrida, l'auteur développe le concept riche d'écriture végétale. De phytos, qui signifie plante, et de graphein, qui désigne l'acte d'écrire, la phytographie amène à penser l'inscription naturelle et originellement signifiante de l'être vivant dans le monde.

L'apport majeur de la littérature pour cette recherche est de fournir une lecture vivante de la vie végétale. Dans leur chapitre, Joni Adamson et Catriona Sandilands font la critique du roman de science-fiction Le Jour des Triffides (1951), écrit par John Wyndham, dans lequel des plantes ayant mutées génétiquement – par la mains des soviétiques, finit-on par apprendre – se mettent à attaquer l'espèce humaine. S'il s'agit d'une mise en abîme évidente des conséquences géopolitiques de la guerre froide, les auteurs de ce chapitre proposent de dépasser cette lecture essentiellement allégorique pour élaborer une lecture biopolitiques des relations entre les plantes et les hommes dans un contexte d'après-guerre (p. 235). L'enjeu de ce chapitre est de faire émerger le thème d'une politique avec les plantes, en montrant que les plantes sont capables elles-aussi de communiquer entre elles et avec les animaux. Il faudrait élargir notre conception du politique aux enjeux bioéthiques, et ainsi penser une biopolitique qui soit solidaire et non pas conflictuelle, car la vie suppose toujours une co-habitation des milieux.

Enfin, achevant cette partie et cet ouvrage, John C. Ryan s'interroge sur la façon la plus adéquate de donner aux plantes la parole sans risquer de parler à leur place (p. 274). La thématique de la « voix de la nature » est assez récurrente en littérature, mais également dans le champ de la pensée écocritique (p. 277). Elle invite à penser une « voix » qui ne soit pas anatomiquement réduite à la bouche. Il faut au contraire pouvoir penser une « voix » qui suppose de l'être vivant une expressivité singulière. C'est pourquoi l'auteur estime que « les plantes ont effectivement une « voix », mais qu'il ne faut pas la comprendre selon le modèle animal. Cette « voix » correspond à leur ontologie et habitus propre, dans la mesure où les plantes s'annoncent elles-mêmes au monde » (p. 281-282). L'auteur propose de comprendre cette « voix végétale » comme un phénomène immanent plutôt que comme une réalisation symbolique (p. 286). Ce détour par le monde végétal nous permet de prendre la mesure ontologique du langage. Le langage est initialement destiné à manifester aux autres notre présence. Exprimer sa voix, c'est dire aux autres que nous sommes là. Dès lors, il paraît illégitime, suivant cette lecture, de refuser aux plantes une « voix » à partir de laquelle elles pourront manifester au monde leur présence.

G. H.