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Liaisons pastorales

Coévolutions, ruptures, résistances

Collectif

Liaisons pastorales

Coévolutions, ruptures, résistances


  • Année : 2023
  • Maison d'édition : ediSens
  • Pages : 311
  • Support : Document imprimé
  • Format : 16 x 24 cm
  • Langue : Français
  • ISBN : 978-2-35113-388-0
  • Date de création : 22/04/2025
  • Dernière mise à jour : 24/04/2025

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Résumé 

Français

L’ouvrage dirigé par la philosophe Aliénor Bertrand, l’écologue Anne Blondeau Da Silva et le géographe Dominique Taurisson-Mouret permet de comprendre les liens entre les races d’animaux d’élevage, les territoires et les peuples au cours des siècles. À partir d’exemples à chaque fois très bien décrits provenant de trois continents, il permet de saisir les effroyables standardisations et destructions culturelles et naturelles qui ont été provoquées par le projet colonial et modernisateur. Prenant parfois le point de vue du chercheur, ou interrogeant l’agronome ou l’éleveur, l’ouvrage rend compte de l’historicité de ce qui a été fait aux races locales par la modernité. Que ce soient les relations tissées avec des bovins pendant des millénaires sur le continent indo-européen ou avec des moutons introduits puis incorporés dans les cultures de peuples dans les Amériques, le livre témoigne du lien indissociable entre élevage et culture locale et comment la transformation de l’un affecte l’autre. 

L’ouvrage, divisé en trois parties qui se croisent géographiquement, démontre avec des arguments de plus en plus puissants la décomposition de ce tissu de relations par les objectifs de performance. La première partie (« Relations pastorales et processus
adaptatifs ») est un panorama historique qui commence par une approche archéologique. Elle retrace les liens pastoraux perdus entre humains et animaux. En clarifiant le concept de race puis en différenciant race primitive et industrielle, elle permet de mettre en relation l’analyse génétique avec les berceaux historiques, et met en évidence l’aspect fondateur de la transhumance dans le pastoralisme. La deuxième partie, intitulée « Rupture des relations adaptatives », montre comment la sélection sexuelle a été remplacée par une sélection génétique avec des contraintes légales qui favorisent la centralisation et l’homogénéisation plutôt que l’adaptation à l’environnement. Elle parcourt les difficultés rencontrées par les personnes qui souhaitent maintenir des races locales. La troisième partie (« Projections coloniales ») montre comment le projet d’amélioration colonial a été délétère et destructeur des liens entre cultures et animaux, pourtant indissociables.

L’ouvrage est agréablement ponctué de « focus » et de « contrepoints » signés qui permettent de rebondir sur les articles. Le berger des dictionnaires (p. 37-41), premier focus, illustre comment un propriétaire devait choisir les qualités d’un berger comme un investissement. Le deuxième focus (Julie De Neve, p. 95-97) vient soulever les questions éthiques liées à l’édition du génome et l’absence de débat et de réflexion pour tempérer les discours conséquentialistes de ces technologies certes prometteuses mais qui s’adaptent difficilement aux spécificités de chaque race. Le premier contrepoint de Philippe Huneman (p. 99-104) fait une pause entre la première et la deuxième partie. Après avoir fait la synthèse de la première partie il vient appuyer que la lente coévolution ne peut se résumer à une simple amélioration. Il prend habilement l’exemple de la "bagnole" qui peut subir des changements de pièces sans risque alors que le changement d’une seule partie d’un génome peut avoir des effets imprévisibles.

Le troisième focus (Angéline Rodriguez, p. 123-127) reprend les témoignages de deux jeunes éleveurs. Dans leurs critiques fortes de leur formation, est noté le manque de préparation aux situations réelles et la non-adaptation de la formation aux effets du changement climatique. Le focus 4 (Lucille Callède, Régis Ribereau-Gayon, Xavier Rognon, p. 155-162) se concentre sur des méthodes pratiques de conservation de la diversité génétique pour éviter et récupérer les ravages de la standardisation. En France, le Conservatoire des races d’Aquitaine a été créé pour sauvegarder des races locales menacées, comme la vache Béarnaise, la vache Bordelaise et Marine landaise en collaboration avec des éleveurs et des instituts techniques. Il explique la réussite du projet par l’utilisation de méthodes de conservation in situ (dans l’environnement naturel) et ex situ (cryoconservation de matériel génétique) pour préserver la diversité génétique, limiter la consanguinité et soutenir les éleveurs locaux.

Le deuxième contrepoint est un article très détaillé de C. Stépanoff sur les différentes formes de domestication (p. 205-211). Il y explique l’hétérogénéité des relations humains/animaux dans les différentes cultures et va jusqu’à décrire leurs différentes variantes en fonction de contextes locaux. Puis par une critique tranchante vient montrer comment l’élevage moderne a distendu tout ce qui nouait le triptyque humains, bêtes et milieu vivant. En effaçant cette mémoire non seulement les éleveurs ont perdu leur autonomie mais la communauté pastorale a été détruite. Un petit focus (p. 215-217) publie des lettres de plusieurs colons français qui décrivent et donnent leurs avis sur l’élevage au Maghreb. Ces lettres sont des témoignages précieux qui rappellent comment il est rapidement possible de tomber dans des certitudes coloniales et des solutions théoriques empreintes de racisme.

Le dernier focus, par A. Blondeau Da Silva (p. 291-295), s’appuyant sur le rapport national sur les ressources génétiques animales en Algérie (2003) montre comment les races bovines locales (Guelmoise, Sétifienne, etc.), réputées pour leur rusticité, ont été progressivement invisibilisées au profit des races importées (bovin laitier moderne) et en retrace l’historique. Par une politique d’importation (dans des conditions souvent inhumaines) et grâce à l’insémination artificielle, les races locales, adaptées aux conditions climatiques difficiles, subissent une introgression génétique due aux croisements répétés avec des races exotiques, menaçant leur survie et leur identité génétique. À cause de mauvaises performances des animaux importés liées aux problèmes d’adaptation et de reproduction, les éleveurs algériens qui les élèvent doivent faire face à des coûts d’entretien élevés et à des problèmes sanitaires croissants.

Le dernier contrepoint par F. Keck (p. 297-299) vient conclure en reprenant l’idée d’injustice épistémique qui traverse tout l’ouvrage et comment ses observations anthropologiques confirment le racisme humain qui cherche à être effacé alors que paradoxalement le racisme animal devient revendiqué. Les colonisateurs ont partout utilisé des arguments racistes pour justifier la supériorité des races animales importées et dénigrer les pratiques pastorales locales. Ceci tout en ignorant les savoirs écologiques ancestraux pourtant mieux adaptés aux milieux de vie des populations colonisées. Les projets de modernisation agricole non seulement continuent de se poursuivre depuis la décolonisation, mais ils continuent aussi d’ignorer les savoirs locaux, perpétuant ainsi des dynamiques d’exclusion et de dépossession.

Ce recueil de textes est donc un plaidoyer pour « préserver ces trésors de l’évolution » indissociables « des savoir-faire traditionnels » (p. 28). Il questionne la place de l’effet de dilution (p. 29) sur le concept de race et la xénophobie qu’il sous-tend. Il rappelle la responsabilité des États largement déficients à protéger ce patrimoine tant génétique que culturel.

W. A.

Chapitres d'ouvrages

« « Coévolution » entre les bêtes, les Hommes et les environnements, et désintégration des réseaux d’interrelations millénaires »

De : Anne BLONDEAU DA SILVA

Pages 21 à 35


« Une archéologie des relations Homme-Animal-Environnement dans les systèmes pastoraux d’altitude pyrénéens »

De : Christine RENDU

Pages 43 à 62


« La diversité des animaux d’élevage dans une perspective socio-écologique »

De : Elena VELADO-ALONSO

Pages 63 à 79


« L’impact du changement climatique chez les éleveurs transhumants de l’est de l’Espagne »

De : Pablo VIDAL-GONZÁLEZ

Pages 81 à 94


« Autonomie, semences et recherche »

De : Pierre RIVIÈRE

Pages 107 à 122


« La vache dans le grand paysage de la modernité »

De : Claire GAILLARD, Catherine MOUGENOT

Pages 129 à 144


« Races bovines autochtones britanniques et leurs liens communautaires »

De : Stephen J. G. HALL

Pages 145 à 154


« OGM et accélération des processus de désintégration des liaisons pastorales »

De : Christophe NOISETTE

Pages 163 à 193


« Élevage de la brebis Brigasque entre Italie et France »

De : Riccardo FORTINA, Daniele BIGI, Sonia TASSONE, et al.

Pages 195 à 203


« Des mérinos chez les Navajos »

De : Raphaël DEVRED

Pages 219 à 233


« Petite histoire coloniale de l’élevage ovin en Côte d’Ivoire : « on efface tout et on recommence » »

De : Dominique TAURISSON-MOURET

Pages 235 à 255


« Les défis d’une conservation soutenable : l’exemple du parc national Lanín et des savoirs traditionnels écologiques mapuche »

De : Florence NUOFFER

Pages 257 à 289


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