Dans cet ouvrage de 1937, Bachelard pose les jalons d’une « philosophie de la microphysique », i.e. de la mécanique quantique. La pensée qui la soutient est paradoxale, puisqu’elle contrevient à notre expérience ordinaire de la localisation des objets dans l’espace et nous révèle encore une fois la valeur inductive de la pensée scientifique, et plus particulièrement de la pensée mathématique. Si « le réel n’est jamais ce qu’on pourrait croire » mais « toujours ce qu’on aurait dû penser » (G. Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1938) ; penser l’espace à l’échelle microphysique est une véritable gageure, car cela suppose une conversion totale de notre rapport à la réalité : le réel, de nouveau, n’est plus un point de départ, mais le terme d’une conquête théorique : « La réalité maxima est au bout de la connaissance, non point l’origine de la connaissance. » (p. 23) Dans le premier chapitre, Bachelard discute les thèses réalistes concernant la théorie de l’expérience de la localisation. La critique acérée qu’il leur inflige, dans une déconstruction du réalisme naïf de l’expérience première, lui permet ainsi d’introduire le problème de la localisation du réel tel que le pose en mécanique quantique le principe de Heisenberg (chap. II). En effet à cette échelle « l’expérience de localisation ne correspond jamais à un simple contact ; c’est toujours un choc. Ce n’est jamais une vision gratuite ; c’est toujours un échange énergétique. » (p. 35-36) Dès lors, ce que nous apprend la microphysique, c'est qu’au niveau de l’élément, il est impossible de séparer géométrie atomique et dynamique énergétique. En d’autres termes, ce que réalise la microphysique, c’est la synthèse de deux doctrines qui étaient jusqu’alors opposées : l’atomisme et l'énergétisme. Le fondement de la microphysique, Bachelard le nomme postulat de non-analyse. Son énoncé peut être circonscrit dans la formule
suivante : « l’espace réel n’est pas susceptible d’une analyse absolue, purement géométrique » (p. 42). Le chapitre III pose ainsi le problème de la détermination des formes des micro-objets, conformément à la méthode axiomatique qui prend pour principe directeur de la recherche le postulat de non-analyse. Or la description active des micro-objets « ne peut que réaliser un schéma résumant des expériences
multiples » (p. 72) : elle est donc essentiellement statistique. Dès lors, ce que révèle la microphysique, c’est que la méthode objective prime l’objet : la mise en œuvre de cette méthode de production des phénomènes se fait au moyen d’outils mathématiques – les opérateurs – qui forment, comme l’écrit Bachelard, « un plan pour la réalisation des lois mathématiques » (p. 99), reliant ainsi les réalités mathématiques et les probabilités physiques (chap. IV). L’enjeu de la microphysique, c’est donc de démontrer « l’adéquation des vérités rationnelles et des vérités empiriques » (p. 109-110). En étudiant dans le chapitre V le rôle des espaces théoriques (espaces généralisés, espaces de configuration, espaces abstraits) dans la microphysique, Bachelard démontre comment la pensée abstraite, au terme d’une construction phénoménotechnique, « réussit à s’incorporer une donnée physique, sans rien perdre de sa valeur axiomatique » (p. 126). – Chapitre I : Réalisme et localisation ; chap. II : Le principe d’incertitude de Heisenberg et la localisation microphysique ; chap. III : Le principe de Heisenberg et la forme assignable aux corpuscules ; chap. IV : Les opérateurs mathématiques ; chap. V : Le rôle des espaces abstraits dans la Physique contemporaine ; Table des matières, p. 141.
F. F.