Early Greek Philosophies of Nature

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Monographie

  • Pages : 241
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  • Édition : Originale
  • Ville : Londres
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  • ISBN : 978-1-350-08097-3
  • URL : Lien externe
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  • Date de création : 27-09-2023
  • Dernière mise à jour : 28-09-2023

Résumé

Français

Cet ouvrage entreprend de faire l’histoire des philosophies de la nature en Grèce pré-classique, c’est-à-dire, selon la définition de l’auteur, l’histoire des conceptions « de l’ordre et de la régularité » d’Homère au corpus hippocratique. Pour ce faire, il s’agit d’écarter les paradigmes obsolètes, tels que celui des « Lumières grecques » ou celui du passage « du mythe à la raison », pour privilégier la « thèse du transfert » (p. 38), inspirée de Werner Jaeger (p. 32). Selon celle-ci, la tâche de la philosophie présocratique, et en premier lieu de la philosophie ionienne, a consisté à transférer les qualités et les actions attribuées aux dieux par la poésie la plus ancienne en les attribuant à de nouveaux principes d’explication de l’univers. Les mêmes concepts demeurent, mais leur cadre d’opération se transforme, puisque l’on passe d’un ordre établi par des dieux qui contrôlent également l’accès à la connaissance, à un ordre découlant de processus immanents, et accessible à la recherche et à l’enquête humaines. L’ouvrage entreprend ainsi de décrire la transformation par laquelle la science grecque s’est développée au sein de la culture archaïque, d’une manière plus continue qu’on ne se le représente ordinairement. Cet objectif se double d’un autre enjeu, car Andrew Gregory poursuit ici l’interrogation sur la pertinence des interprétations mécanistes en histoire des sciences qu’il mène depuis Harvey’s Heart: The Discovery of Blood Circulation (Cambridge, Icon Books, 2001). 

Après un premier chapitre consacré aux questions de méthode, le chapitre 2 explore la façon dont Homère et Hésiode conçoivent la manière dont les dieux savent « guider » (ithunein) les choses qu’ils contrôlent et celle dont le monde est dominé par un « puissant destin » (krataie moira), selon un certain ordre, « kata moiran », « kata aisan » et « kata kosmon » (« selon ce qui est convenable »,
« en bon ordre »), un ordre que les dieux établissent autant qu’il s’impose à eux en leur laissant une certaine marge de jeu. Or les deux aspects de cet ordre – le guidage et la domination – vont précisément nourrir deux traditions différentes au sein de la philosophie de la nature (explorées respectivement aux chapitres 4 et 6) : une tradition du kubernan, d’après le verbe qui désigne l’activité de piloter un navire et une tradition du kratein, d’après le verbe qui désigne l’exercice d’une domination. La première tradition est issue d’Anaximandre, la seconde d’Anaximène. L’une des thèses originales du livre est de nous montrer que la science ancienne de la nature s’épanouit pleinement, dans la période considérée, chez les auteurs qui seront à la croisée de ces traditions, comme les auteurs hippocratiques, auxquels est consacré le chapitre 8 (Héraclite et Parménide apparaissent comme les précurseurs de cette tendance syncrétique). Le chapitre 2 met aussi en avant le fait que Homère manie le concept de phusis dans le sens de « forme, usage et propriété » d’une plante qu’Hermès recommande à Ulysse comme antidote aux drogues de Circé, la « sorcière » dont Gregory affirme qu’elle ne fait ici rien de surnaturel, puisqu’elle met à profit sa connaissance de la nature des choses (p. 31). La question est donc de savoir comment les rapports entre les éléments de la culture la plus ancienne se sont reconfigurés de telle sorte que l’ordre « kata moiran » se transforme en un ordre « kata phusin » ; Andrew Gregory voit par exemple dans la formule  « kata to khreon » d’Anaximandre une étape dans cette évolution. Le chapitre 3 développe la question de savoir comment la nécessité de faire appel aux dieux et aux muses pour obtenir des connaissances a été remise en question au nom d’un nouvel idéal d’examen approfondi, celui de l’historia (chapitre 3). Le chapitre 5 introduit quant à lui la « thèse du ciblage » (targetting thesis) (p. 94), selon laquelle la philosophie ionienne a cherché à fournir de nouvelles explications aux phénomènes qui étaient particulièrement connus comme un champ d’intervention des dieux, typiquement les phénomènes météorologiques.

L’ouvrage, dans ses analyses précises des textes anciens, s’emploie à montrer que la manière dont le transfert des opérations divines est accompli permet d’éviter un mode de pensée mécaniste, c’est-à-dire une conception qui compare les phénomènes naturels à des machines au fonctionnement réglé et autonome. Dans le chapitre 4, Gregory décrit le pilotage comme un processus continu et approfondi dirigé par une entité intelligente, en cherchant à en préciser les modalités, par la comparaison avec la façon dont Homère décrit les navires extraordinaires des Phéaciens, qui se pilotent eux-mêmes, ou avec la graine, qui guide la croissance de la plante (p. 73-74). Après avoir privilégié la seconde comparaison dans ses précédents ouvrages sur Anaximandre, Gregory soumet ici la première à l’épreuve des textes. Il en sort de nouvelles raisons de rejeter les interprétations mécanistes d’Anaximandre, en repoussant l’idée que ce dernier ait eu recours aux tourbillons, aux explications par le hasard, à l’hypothèse d’une pluralité de mondes, qu’ils soient synchroniques ou diachroniques. Du chapitre sur la tradition du kubernan à celui qui est consacré à la tradition du kratein, se déploie l’idée que les analogies issues de l’art, des outils et des machines, de l’analogie de la roue d’Anaximandre (p. 89-90) aux analogies d’Anaximène issues du feutrage, de la cuisine ou des activités maritimes (p. 118-120), ne sont pas des analogies mécanistes, car les machines antiques ne fournissent pas un modèle suffisamment fort pour supplanter les autres analogies et imposer l’idée d’un fonctionnement autonome (p. 112). Ainsi, même lorsque, dans la tradition du kratein, Anaxagore fait usage d’un tourbillon initié par une intelligence cosmique qui domine toutes choses, ce phénomène ne se prête à pas des analogies de type mécaniste (p. 132-135). De ce point de vue, les analyses culminent dans le chapitre 7, consacré aux atomistes. L’auteur montre en effet que les atomistes peuvent mobiliser certains éléments explicatifs comme les tourbillons, ou le principe selon lequel le semblable va vers le semblable, comme autant de moyens de critiquer la dimension téléologique qu’ils perçoivent dans les traditions du kubernan et du kratein, sans pour autant développer de vision mécaniste. La raison en est que ces éléments restent chez eux enchevêtrés dans un réseau d’analogies diverses, qu’elles soient météorologiques, biologiques, humaines, agricoles ou maritimes. Le pluralisme analogique est une caractéristique essentielle des premières philosophies de la nature, et il interdit à l’une des analogies de s’imposer sur les autres. La leçon du chapitre 8 est à cet égard significative : c’est chez les auteurs médicaux qui, selon l’auteur, se trouvent à l’intersection des traditions du kubernan et du kratein, c’est-à-dire dans une forme accentuée de pluralisme analogique, que s’épanouit l’idée caractéristique de la science grecque selon laquelle la connaissance est la connaissance de la phusis des choses et de leur comportement kata phusin.

A. M.