À quoi pensent les animaux ?

Comportements, cognition, émotions

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Monographie

  • Pages : VI-223
  • Collection : Biblis
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  • Support : Document imprimé
  • Langues : Français
  • Édition : Originale
  • Ville : Paris
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  • ISBN : 978-2-271-12238-4
  • ISSN : 2119-2715
  • URL : Lien externe
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  • Date de création : 11-06-2020
  • Dernière mise à jour : 21-06-2023

Résumé

Français

Dans cet ouvrage pédagogique, Claude Baudoin propose d'introduire son lecteur à l'éthologie. Lui-même professeur honoraire d'éthologie et de psychophysiologie, ce livre a été pensé comme un guide théorique pour les non-initiés, davantage que comme un ouvrage à thèse. Ainsi retrouve-t-on en fin d'ouvrage un glossaire très utile contenant tout le vocabulaire technique utilisé dans le corps du texte (pp. 207-216), mais également une bibliographie proposant quelques titres d'ouvrages classiques pour parfaire ses connaissances dans les sciences de l'animal.

Recensant un grand nombre d'expériences réalisées en psychologie animale, C. Baudoin passe en revue le champ de nos connaissances actuelles relatives au comportement, à la cognition et aux émotions animales, trois thèmes composant le sous-titre de cet ouvrage, et que l'on retrouve dans trois de ses cinq chapitres : « à quoi pensent les animaux, et comment ? » (chapitre 2, pp. 65-127), « sensibilité des animaux et émotions » (chapitre 3, pp. 129-150), « connaître le comportement pour mieux comprendre et agir » (chapitre 4, pp. 151, 191).

Après une préface rédigée par Boris Cyrulnik (pp. 5-9), l'ouvrage débute avec un chapitre retraçant l'histoire de l'éthologie : « l'éthologie, étude biologique des comportements » (chapitre 1, pp. 17-64). L'auteur nous rappelle que la création du concept d' « éthologie » remonte à Isidore Geoffroy Saint-Hilaire en 1854 (p. 18), construit à partir du grec ethos, le comportement, et logos, la science. Mais c'est véritablement au XXe siècle, dans les années 1930, avec trois grands auteurs, à savoir Konrad Lorenz, Nikolaas Tinbergen et Karl von Frisch, que l'éthologie s'est imposée comme science du comportement animal en se démarquant notamment du behaviorisme par le fait d'avoir acquis une méthodologie empirique solide (voir à ce propos les quatre questions que N. Tinbergen demande à tout éthologue de se poser lorsqu'il étudie un comportement animal : 1. quelles sont les causes proximales des comportements ? ; 2. quelles sont les causes ultimes des comportements ? ; 3. quelle est l'ontogenèse des comportements ? ; 4. quelle est la phylogenèse des comportements ?).

Tout comme le behaviorisme, l'éthologie a pour projet d'étudier de façon objective le comportement animal. Tous deux s'opposèrent alors au courant vitaliste en psychologie qui amena un grand nombre d'intellectuels de l'époque à subjectiver les conduites animales à l'aune de nos propres représentations. Il s'agissait pour ce courant de charger en signifiants humains un monde et des conduites essentiellement animales (p. 22). Luttant contre cet élan anthropomorphique, le behaviorisme et l'éthologie développèrent une approche objective du comportement animal, laquelle devait être en mesure de révéler le sens intrinsèque de la conduite animale observée. Toutefois, en ramenant la totalité des attitudes que l'animal exécute dans son milieu à de pures conduites réflexes dues au conditionnement opérant du milieu sur l'organisme, et en ignorant la singularité des comportements observés, le behaviorisme s'est engagé dans une démarche réductionniste à laquelle l'éthologie ne souscrivit pas.

Telle qu'elle s'est édifiée, l'éthologie est une science carrefour. Elle établit ses fondements à la croisée des sciences naturelles et des sciences sociales, tant et si bien qu'il est difficile de la situer sur le terrain scientifique car elle a pour projet d'étudier objectivement ce que l'animal déploie subjectivement dans le monde. Naviguant entre l'observation et l'interprétation, entre un discours objectivant et internaliste, à la fois biologie nourrie de darwinisme, l'éthologie n'en demeure pas moins une psychologie autant qu'une sociologie à part entière.

C'est William D. Hamilton, le premier, qui parla de « comportements coopératifs » (pp. 34-35), anticipant ce qui deviendra plus tard la sociobiologie, une discipline émergente de l'éthologie. A ce titre, on peut également citer le concept d' « empreinte », traduit parfois par « imprégnation » (Prägung), théorisé par K. Lorenz, et qui permet d'expliquer l'attachement systématique de l'enfant à un congénère, généralement sa mère, et qui permet également de souligner la faculté naturelle chez l'individu juvénile d'être immédiatement ouvert sur le monde et les autres (p. 43).

Partant de là, le grand concept de l'éthologie fut celui d' « instinct », comme nous le rappelle C. Baudoin. C'est d'ailleurs majoritairement sur ce point que behavioristes et éthologues divergent. Pour les premiers, l'animal est doté d'un ensemble d'instincts réductibles à son espèce. Ce sont eux qui font la singularité des espèces animales, et ce sont eux qui expliquent la réalisation dès la naissance de comportements souvent spectaculaires d'efficacité. On peut définir l'instinct comme étant un principe endogène à l’individu, lequel régule les actions qu'il accomplira dans son milieu. L'animal semble ainsi être câblé dès sa naissance avec le monde au sein duquel il se déplacera.

À l'opposé, les behavioristes prétendent que l'ensemble des comportements animaux sont la somme de conditionnements continus. Chaque animal est en interaction constante avec son milieu, et c'est auprès de celui-ci que l'animal apprend à ré-agir relativement à chaque situation. L'organisme individuel prendrait donc la forme de l'organisation environnementale autour de lui, ce qui revient à dire que l'animal informé par son environnement, au sens aristotélicien. Là dessus, les éthologues pensent autrement. Ces derniers jugent que c'est l'animal qui, dans une certaine mesure, donne forme au milieu dans lequel il vit. C'est à partir de son « câblage cognitif » que l'animal constitue un milieu qui lui est propre (Umwelt), au sein d'un monde objectif (Welt), identique pour tous les êtres vivants : en d'autres termes, l'animal donne forme à un monde qu'il vient habiter par le milieu.

Cependant, avec l'essor des sciences cognitives et des neurosciences, on comprend aujourd'hui l'instinct avec plus de souplesse qu'autrefois. L'épigénétique, qui étudie en biologie les changements génétiques à l’œuvre dans le vivant, permet d'expliquer par l'environnement ou par l'apprentissage, les variations dans l'expression des gènes chez certains individus (p. 39). Il convient alors d'étendre la compréhension que l'éthologie pouvait se faire du comportement animal à une perspective plus relationnelle du vivant, où l'animal serait en relation étroite avec son environnement et les autres, et de ne plus l'isoler sous une détermination génétique. En cela, l'éthologie reprend la démarche évolutionniste mise en place par Charles Darwin, pour qui l'environnement avait un rôle actif dans la modification des espèces.

On parle aujourd'hui d'écologie des populations, qui est un champ d'étude de l'écologie comportementale (p. 60), et qui ne doit pas être confondue avec la sociobiologie. Cette dernière ne s'intéresse qu'aux comportements sociaux animaux (altruisme, coopération, agressivité, etc.), en réduisant ces comportements à un ensemble de gènes hérités propres à l'espèce. En effet, la sociobiologie situe la théorie de l'évolution au niveau génétique, les gènes étant les acteurs de la sélection naturelle. L'écologie comportementale, au contraire, a pour ambition de traduire sur un modèle mathématique et évolutionniste parfois réducteur lui-aussi les comportements que l'animal exécute vis-à-vis de son milieu. C'est dans cette optique que John M. Smith proposa le concept de « stratégie évolutivement stable » (p. 62), qu'il reprit à la théorie des jeux dans un contexte évolutif, et où celui-ci permettait d'expliquer la stabilité des groupements animaux à partir des intérêts évolutifs des individus engagés dans un groupe. Un des exemples bien connus rapportés dans ce livre est celui de la stratégie mise en place par deux congénères pour obtenir une même ressource, typiquement une femelle, mais cela peut également être un point d'eau ou de la nourriture. On oppose une stratégie agressive dite « faucon » à une autre, plus pacifique et ritualisée, dite « colombe ». La stratégie « colombe » ne saurait être évolutivement stable dans la mesure où elle finira fatalement par être évincée au profit de la stratégie « faucon », résolument plus agressive. Toutefois, la stratégie « faucon » n'est pas viable non plus étant entendu que chaque individu s'expose à être blessé, voire tué. Finalement, il ressort de cet exemple qu'une stratégie mixte pourra émerger en tant qu'elle délivrera le plus de bénéfices aux individus qui la mettent en pratique. Cette dernière consistera à adopter une stratégie « faucon » uniquement lorsque l'individu sera situé sur son territoire, mais de déployer une stratégie « colombe » dès lors qu'il se trouvera en dehors. Selon J.M. Smith, l'évolution aurait ainsi sélectionné un comportement territorial, ce qui amène à penser l'importance de la vie sociale chez l'animal. L'ouvrage se poursuit sur la question de la cognition animale. L'auteur balaie plusieurs domaines de compétences cognitives pour lesquels les animaux se montrent particulièrement doués. Il commence par noter « les capacités de représentation et d'orientation dans l'espace » chez certains oiseaux nocturnes s'aidant des constellations la nuit pour se repérer sur terre (p. 73). C. Baudoin évoque ensuite « les capacités d'apprentissage » chez les animaux, et précise qu'il existe différentes modalités d'apprentissage chez les mammifères, comme l'émotion ou encore l'olfaction (p. 90). L'auteur évoque le cas spectaculaire d'un chien qui apprit plus 1000 noms de jouets en seulement 3 ans (pp. 90-91). On peut noter, à ce propos, que si cet apprentissage est spectaculaire c'est précisément parce qu'il est extra-ordinaire, au mot près. Comme l'auteur le relève lui-même, au cours des 10 années durant lesquelles les chercheurs étudièrent les capacités d'apprentissage des chiens, seule cette femelle border collie s'est montrée capable de lier conceptuellement un mot à un symbole, et cela en pas moins de trois ans. Cette remarque simplement pour tempérer les recherches qui se font actuellement dans le domaine des sciences cognitives et qui ont tendance à vouloir affubler les animaux de capacités qu'ils n'ont pas, non parce qu'ils seraient inférieurs à l'homme, mais bien plutôt parce que ces capacités ne leur seraient d'aucune utilité dans leur monde propre (Umwelt).

Enfin, l'auteur cite « les capacités de dénombrement » présents chez les primates (pp. 92-93). D'une manière générale, ce qui ressort de ces résultats, et ceci afin d'éviter tout écueil anthropocentrique, c'est la nécessité de restituer sous un contexte naturel ces données obtenues en laboratoire. Cela permet de cerner les motifs fonctionnels qui sont à la source de ces comportements.

L'auteur s'intéresse ensuite dans un troisième chapitre à la question de la sensibilité animale. L'un des apports majeurs de l'éthologie à la question animale a certainement été la mise en lumière de la dimension du sensible chez l'animal. Depuis Darwin et son étude sur L'Expression des émotions chez l'homme et les animaux, Paris, Payot, Petite Bibliothèque, 2001, il nous est permis de comparer les émotions humaines et animales à partir d'une perspective évolutive (p. 129). L'émotion serait une adaptation de l'organisme à l'environnement, ce qui expliquerait par exemple certaines phobies telles que la claustrophobie ou encore l'arachnophobie, celles-ci s'étant transmises à l'espèce de générations en générations à une époque où le confinement au sein d'espaces réduits, comme les grottes, et où les araignées, étaient des dangers constants et plus menaçants dans l'environnement humain qu'ils ne le sont de nos jours. De plus, il est possible de tracer une origine phylogénétique commune aux émotions des mammifères, ces dernières ayant pour « fonction de permettre une adaptation rapide aux conditions d'environnement et la survie individuelle » (p. 138).

Aujourd'hui, un psychologue comme Jacques Cosnier, tempère cette lecture exclusivement déterministe et objectiviste de l'émotion pour en donner une vision incluant davantage de subjectivité. Il explique que l'émotion est un phénomène objectif, certes, c'est-à-dire qu'il traduit un état physiologique en lien direct avec l'environnement, mais qu'il se situe sur fond de subjectivité, car c'est dans le creux de l'existence de l'individu que l'émotion survient (pp. 131-132). De là, il devient nécessaire d'utiliser l'analogie pour rendre compte des émotions animales, l'observateur n'étant en mesure de sentir le vécu subjectif de l'animal qu'à partir de ses propres impressions sensibles fondamentalement humaines (p. 132).

Si l'étude de l'émotion chez l'animal en est encore à ses débuts (p. 150), on sait d'ores et déjà que l'émotion est prise dans le jeu des relations sociales animales et qu'elle joue un rôle actif dans la dynamique des groupements animaux. D'une part, l'empathie serait un vecteur de coalitions sociales chez les oiseaux et les mammifères (p. 140-141), et d'autre part, certaines situations sociales désorganisées, comme la confrontation à un agent stressant persistant, peuvent générer chez l'animal des pathologies parfois lourdes, telles que des stéréotypies, des ulcères gastriques ou encore des troubles reproducteurs (p. 145).

Enfin, ce livre se conclut par une incursion dans le champ de l'éthique (chapitre 4). L'étude et la compréhension du comportement animal est un bon moyen pour nous, humains, d'améliorer nos interactions avec lui. Les avancées en éthologie doivent nous permettre d’interagir mieux avec l'animal, c'est-à-dire de prendre la mesure de ce que représente pour l'animal le fait de vivre. Chaque animal est une existence singulière qui possède ses propres intérêts-à-vivre, intérêts eux-mêmes corrélés à une phylogénie propre et à un vécu réductible à l'animal lui-même. Cette reconnaissance d'intérêts-à-vivre propres à l'animal peut ainsi trouver une application concrète autour de la question du bien-être des animaux d'élevage (pp. 157-158), des animaux de laboratoire (p. 165), mais également autour de la situation des animaux élevés en captivés, qu'il s'agisse de zoos, d'aquariums (p. 161), de réserves naturelles, ou encore de la situation particulière qu'est la domestication animale.

G. H.