L’Invention du nombre

Des mythes de création aux Éléments d’Euclide

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Monographie

  • Pages : 346
  • Collection : Histoire et philosophie des sciences
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  • Support : Document imprimé
  • Langues : Français
  • Édition : Originale
  • Ville : Paris
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  • ISBN : 978-2-406-05971-4
  • URL : Lien externe
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  • Date de création : 08-11-2018
  • Dernière mise à jour : 26-04-2022

Résumé

Français

À travers l’étude attentive d’un vaste savoir ethnographique, Olivier Keller nous livre une préhistoire du nombre et de la pensée mathématique. L’enjeu de l’ouvrage est de retracer l’histoire de l’activité numérique. Face à l’immensité du Cosmos, la pensée archaïque a réussi à élaborer des classifications systématiques sous la forme des mythologies traditionnelles. Le concept de l’Un-Multiple, élaboré par la «pensée unitaire» des sociétés archaïques animistes ou totémistes, permet de penser la cohésion générale du tout. Les classifications primitives, en suivant une logique anthropocentrique, s’élaborent selon l’idée d’une genèse partant de la démultiplication d’un démiurge ou d’éléments anthropiques sublimés, créateur(s) du Cosmos. Tel est l’aspect commun à toute représentation archaïque du monde et qui se trouve être selon l’auteur, l’origine de la pensée mathématique. O. Keller s’applique ensuite à étudier les multiples conceptions et représentations de l’Un-Multiple dans diverses sociétés : les Achuars, les Apaches, les Osages, les Sioux Ogala, les Mayas, les Baruyas et les Iquayes de Papouasie, les Dogons du Congo, les Bambaras du Mali, les Canaques de Nouvelle-Calédonie ou encore les civilisations égyptienne, indo-européenne, védique ou chinoise. La pensée-action de l’homme archaïque saisit et produit le monde par le mythe et par le rite, en matérialisant le processus créateur de l’Un-Multiple. L’action rituelle vise en effet à représenter l’histoire du monde au moyen de gestes, de sons, de signes graphiques répétés, etc. C’est dans le contexte de cette action rituelle, à travers la modélisation de la puissance créatrice (image figurée et non numérique de l’Un-Multiple) en « quanta » (multiplicités-unes) que se constitue le nombre : par exemple les quatre saisons ou les quatre points cardinaux sont l’Un figuré en tétrade. Il s’agit ensuite pour l’auteur de comprendre comment les sociétés archaïques ont pu avancer vers le nombre, c’est-à-dire vers une organisation autonome des quanta, comment la manipulation des quanta jette les bases du calcul et permet de constituer le nombre dans une échelle de « uns ». Même si les premiers pas sont ambigus, les progressions ultérieures des techniques de constitution du nombre n’ont rien de mystérieuses. L’auteur décrit diverses techniques d’ « étalage » (techniques de monstration de l’Un-Multiple) qui vont permettre d’exprimer matériellement le nombre : techniques de dénombrement et de mémorisation, règles d’échanges symboliques ou formels (potlatch), représentations du temps et constitution de calendriers, etc. Avec l’application des techniques de monstration de l’un-multiple dans le domaine de la mesure on aboutit à une généralisation du calcul dans des systèmes de pratique numérique observés chez les peuples mésopotamiens et égyptiens, dont la documentation est la plus abondante (les plus anciens signes « peut-être » numériques connus à ce jour remontent au IIIe millénaire avant notre ère, exemple de la Pierre de Palerme). Entre le Ve et le IIIe siècle avant notre ère, la philosophie grecque, qui essaie de penser l’Un-Multiple, élabore une théorie complète du nombre rationnel ainsi qu’une ontologie du nombre avec Pythagore puis Euclide dans les livres VII à IX des Éléments. La considération de la grandeur continue et de sa mesure comme représentation de l’Un-Multiple permet la rationalisation du nombre, c’est-à-dire la démonstration du passage des « uns » les uns dans les autres par l’invention du concept de « rapport ». Mesurer, c’est exprimer des longueurs multiples par rapport à une unité de grandeur. Le choix d’un étalon permet la construction pragmatique de systèmes numériques ordonnés (système sexagésimal en Mésopotamie, calcul fractionnaire en Égypte), dans lesquels chacune des longueurs, en tant que forme multiple de l’unité de grandeur, deviennent des grandeurs ordonnées dites nombres. Le nombre rationnel, c’est un rapport de grandeurs qui est l’équivalent d’un rapport de longueurs. En revanche, certains rapports de longueurs ne montrent pas de grandeur rationnelle (exemple de la diagonale d’un carré de côté 1). Ainsi le nombre n’est pas exclusivement rapport de grandeurs, d’où la nécessité d’une théorie du nombre. O. Keller nous offre enfin une ouverture sur l’aspect de la numérologie dans les pratiques de divination ou de superstition archaïques, en Inde védique et dans le Pythagorisme. Le nombre, qui a pour fondement la pensée d’un Démiurge, figure anthropique de l’unité démultipliée selon la thèse de l’auteur, prend une dimension magique dans diverses traditions philosophiques.

M. R.