La Forme animale

Envoyer le lien

Monographie

  • Pages : 295
  • Collection : L'Ombre animale
  • Consulter le volume original
  •  
  • Support : Document imprimé
  • Langues : Français
  • Édition : 2e édition française
  • Ville : Paris
  •  
  • ISBN : 978-2-909688-64-0
  •  
  • Date de création : 16-01-2017
  • Dernière mise à jour : 26-04-2022

Résumé

Français

La Forme animale (1948) « est né d'une grande joie » nous dit Philippe Nassif ; l'auteur, Adolf Portmann (1897-1982), se voyant atteindre grâce à l'accomplissement de cet ouvrage « une compréhension plus vaste » du monde animal. S'inscrivant dans la lignée des pionniers de l'éthologie moderne, Portmann se propose d'étudier dans ce livre le comportement animal. Avançant une conception de l’organisme résolument opposée au courant mécaniste, où l'apparence extérieure joue un rôle aussi essentiel que celui du développement des organes – tels le cœur ou le cerveau –, l'objectif de l'auteur est de dévoiler une vie intérieure chez l'animal, ceci à partir des formes extérieures qui le font être. La Forme animale, traduit pour la première fois en français en 1961 – traduction qui a été revue par Jacques Dewitte dans la présente édition –, apporte à cette entreprise une contribution décisive. Portmann élabore une morphologie comparée des vertébrés en se demandant quelle peut être la raison de cette abondance dans les formes et les couleurs proposées par les animaux. Le livre s'ouvre sur cette phrase, présentée comme le dogme contre lequel tout l'ouvrage entend s'attaquer : «une expérience ancestrale a amené l'homme à ne voir dans ce qui est visible autour de nous qu'un reflet trompeur, qui nous cache la véritable nature des choses». Le chapitre 1 répond tout de suite que « cette apparence extérieure ne sert pas seulement à la survie, mais (...) est spécifiquement faite pour les yeux spectateurs. » La thèse de l'auteur est que cette abondance témoigne d'une véritable expressivité du vivant en tant que ce dernier éprouve le besoin de se montrer, d’apparaître à soi-même et aux autres, relève Jacques Dewitte dans sa préface richement fournie. Cette abondance de formes et de couleurs ne peut pas s'expliquer d'après le schéma darwinien où la forme est comprise comme le résultat d'une adaptation à une situation propre. De même, on ne peut pas la réduire à une simple fonction, car il serait alors impossible d'expliquer cette variété dans les formes et les couleurs proposées : «quelques motifs récurrents auraient suffi en ce cas et la nature se serait ainsi montrée plus économe» déclarait Merleau-Ponty en commentant La Forme animale dans ses cours au Collège de France. Jacques Dewitte explique que Portmann veut montrer qu'au principe d’auto-conservation (Selbsterhaltung), il faut ajouter au vivant un autre mode d’existence, celui de l’auto-présentation (Selbstanstellung). En plus de chercher à se conserver, le vivant éprouverait le besoin existentiel de se présenter, et en ce sens il n'est pas faux de dire avec l'auteur que « paraître est une fonction vitale » (chapitre 4). Afin de préciser l'unité qui structure la forme et l'organisme vivant, et plus encore pour amener la notion de comportement chez l'animal, Portmann constate que le motif situé sur les ailes d'un papillon consiste dans la combinaison de la couleur et de la position des ailes. En conséquence, s'il veut exprimer sa « forme », le papillon doit réaliser un comportement propre qui la rendra manifeste. Portmann définit la « forme » (chapitre 3) comme étant le corps visible, l'apparence globale de l'animal, en la distinguant de la « structure » de l'organisme, qui correspond à l'unité de chaque membre particulier qui compose le vivant, visible ou invisible par ailleurs. Il précise au chapitre 2 que les espèces animales simples (inférieures dit-il en employant ce terme relativement au degré de développement de la forme de l'espèce étudiée) « sont transparentes comme du verre », donc parfaitement symétriques dans la mesure où « aucun intérieur n'est caché ». De là, on peut ouvrir à la lecture de Merleau-Ponty et comprendre le comportement animal comme étant la porte ouverte sur l'intériorité significative du vivant. « C'est l'intériorité qui se manifeste dans cette forme et ce comportement autonome » dit Portmann au chapitre 3. Ce dernier dégage alors dans le même chapitre une loi morphologique importante, celle de «l'opposition de l'extérieur et de l’intérieur» : la forme animale (ce qui est visible) est symétrique, alors que l'intérieur du corps (ce qui n'est pas visible) est asymétrique. En effet, on remarque que chez les vertébrés transparents, c'est-à-dire dont la totalité du corps est vue, les organes sont disposés de façon symétrique autour du tronc vertébral, et sont colorés voire parfois fluorescents pour certains poissons ; alors que chez les vertébrés non transparents, c'est-à-dire ceux dont les organes ne sont pas visibles, ces derniers sont disposés de façon asymétrique et ne sont pas colorés. Portmann illustre cette règle au moyen de deux exemples ayant fonctions d’arguments. Le premier est qu'effectivement, nos reins, rates et autres intestins n'ont pas de couleurs particulières une fois sortis de notre corps, et ne respectent aucune symétrie particulière. Le deuxième étant qu'il est parfaitement impossible pour un biologiste de distinguer les animaux à partir de leurs seuls squelettes ou bien de la forme de leurs organes, ces derniers se ressemblant beaucoup trop entre eux. Cette loi va permettre à l'auteur de reprendre le concept de cercle fonctionnel à la pensée d'Uexküll pour l'étendre à l’œil et à la chose vue (chapitre 6). En effet, le camouflage (Tarnung) fait figure de dialectique symbolique entre l'animal et son environnement, et c'est en ce sens que la coloration de l'animal, nous dit Portmann, doit être comprise comme étant un organe aussi essentiel à son existence que le sont le cœur et les poumons. Il parle d'«organe optique » au chapitre 11, d'«un instrument fait pour être regardé de diverses manières et capable de manifester un état intérieur». L'auteur se propose alors de penser la forme animale comme étant « faite pour être vue », comme étant une « joie pour les yeux ». Portmann se demande ensuite comment fonctionne cette expressivité que la forme animale dégage. Critiquant la pensée causale qui veut réduire la forme à une pure utilité pratique, Portmann propose de réaliser une sémiotique du vivant, c'est-à-dire d'étudier ce qui fait sens pour le vivant dans la forme animale. Celle-ci peut faire sens pour lui, puisqu'il la voit, et pour les autres animaux qui peuvent la voir. Il soutient au chapitre 8 que la forme possède un caractère sémiotique : elle transmet un signe. De là, il se penche sur le phénomène de la sexualité, prenant le contre-pieds de l'Origine des espèces et de l'étude que Darwin réalisa sur la sélection sexuelle dans The Descent of Man, and Selection in Relation to Sex. Le constat de Portmann est que la surévaluation des spermatozoïdes et des ovules dans l'acte sexuel est une erreur. « On taxe d'inessentiel ce qui est donné aux sens et a lieu en surface, et on considère le caché, l'intérieur comme l'essentiel » écrit-il au chapitre 9. Or si l'on tient compte d’organes sexuels comme les testicules, «comment expliquer qu'un organe aussi nécessaire à la conservation de l'espèce soit ainsi exposé» se demande Portmann ? Portmann propose donc au chapitre 10 de comprendre la forme selon une autre valeur : la « valeur d'expression ». Chaque « valeur d’expression » est propre à chaque espèce. Il est alors inutile de vouloir apposer à certains animaux des significations particulières, propres à notre espèce. L'auteur nous dit au même chapitre que « la vie des animaux inférieurs est peu expressive et témoigne d'une expérience intérieure peu développée ». D'après lui, le seul moyen d’expression qui est inaccessible aux vertébrés supérieurs, c'est le langage des couleurs. Or on peut toutefois s'étonner, comme le souligne Dominique Lestel dans Les origines animales de la culture, que Portmann semble ignorer le rougissement, la pâleur, comme moyens d'expression. Cet ouvrage n'est pas seulement une bible pour la compréhension de l'animal, il propose aussi des pistes pour une réflexion phénoménologique sur la compréhension du monde. C'est sur un ton aux allures prophétiques, quelque peu désabusé par le chaos de la Seconde Guerre mondiale, aux accents politiques très marqués, que Portmann conclut son livre. Effectivement, l'auteur souhaite faire naître en l'homme le goût de l'observation, de la contemplation des formes de la nature. C'est en ce sens que ce livre majeur de la pensée contemporaine a inspiré Hannah Arendt, par les options proposées pour la formation d'un monde commun, et Merleau-Ponty, par la compréhension qu'il donne du vivant comme « spontanéité expressive ». – Table des matières, p. 5 ; Préface, pp. 7-23 ; Bibliographie, pp. 289-295 ; 118 figures : dessins de Sabine Bousani-Baur assistée de Mitsou Siebenmann-Stehelin ; Traduction de Georges Remy revue par Jacques Dewitte.

G. H.