La Nature et les Grecs

Précédé de La clôture de la représentation par Michel Bitbol

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Monographie

  • Pages : 218
  • Collection : Sources du savoir
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  • Support : Document imprimé
  • Format : 21 cm.
  • Langues : Français
  • Édition : Traduction de l’anglais
  • Ville : Paris
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  • ISBN : 2-02-012800-4
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  • Date de création : 04-01-2011
  • Dernière mise à jour : 13-10-2015

Résumé

Français

Publié en 1954 par Cambridge University Press sous le titre Nature and the Greeks, ce texte est issu des conférences publiques que Schrödinger donna à Dublin, puis à Londres, au début de 1948 (Shearman lectures, delivered at University College, London, 1948). – Le texte est introduit par un exposé incisif et polémique de son enjeu. L'étude de la pensée grecque a pour objectif l'acquisition d'une distance historique suffisante pour nous permettre d'apercevoir la source de la double impasse dans laquelle la pensée moderne et contemporaine s'est engagée. 1) La pensée contemporaine reste d'abord incapable de faire confluer la quête de la source des valeurs avec la recherche d'un ordre dans le monde de l'expérience. 2) Elle est en outre confrontée à une perte du sens initial des concepts dont fait usage la science, au fur et à mesure de leur mise en œuvre. Schrödinger donne ici l'exemple de l'atomisme qui a vu s'évanouir le caractère concret de la représentation corpusculaire par lequel il se définit, au moment même (celui de la création de la mécanique quantique) où il semblait pourtant pouvoir célébrer son triomphe. On doit dès lors tenter de mettre au jour les prémices oubliées de ces échecs. Mais pour cela, il faut remonter beaucoup plus loin que le XVIIe siècle, à l'aube duquel on arrête usuellement l'enquête. C'est seulement dans le monde grec, avant Socrate, qu'on peut avoir «non seulement (...) l'espoir d'exhumer une sagesse effacée, mais aussi celui de découvrir l'erreur enracinée à sa source, là où elle est facile à reconnaître». En ce lieu, à cette époque, on peut saisir non seulement la fusion des deux «chemins» de la recherche (le chemin de la connaissance objective et celui de l'auto-réalisation), mais aussi la raison de leur divergence ultérieure. Non seulement les présupposés qui fondent la science moderne, plus grecque encore qu'elle ne l'admet, mais aussi le moyen de s'en affranchir: «Un préjugé est détecté plus facilement dans la forme primitive et ingénue qu'il prend lorsqu'il apparaît pour la première fois, que sous l'aspect du dogme sophistiqué et ossifié qu'il peut devenir par la suite». – Le vaste dessein exposé dans cette introduction, qui fut rédigée après coup, est sans cesse présent dans la suite du texte. La crise de la physique contemporaine, en particulier, est rattachée à une occultation persistante de l'assise métaphysique que nous a légué la pensée grecque. À force d'oublier qu'il s'agit là d'un héritage culturel et non pas d'un donné, les scientifiques semblent condamnés à laisser proliférer les tensions "paradoxales" entre leurs présupposés et leurs avancées expérimentales ou formelles. L'héritage grec, tel que l'identifie Schrödinger, consiste en un couple de prescriptions portant sur la fondation de la théorie de la connaissance (c, c'), et en une présupposition relative à l'être (e): (c) Nous devons adhérer, déclare Héraclite, à la part universelle de notre expérience, celle que nous pouvons obtenir en l'affranchissant de nos particularités subjectives. Cette fraction universelle de l'expérience sera appelée le "monde commun" ou, de façon abrégée, le "monde". (c') Selon les physiologues ioniens (Thalès, Anaximandre, et Anaximène), il faut aborder le monde avec la certitude préalable qu'il peut être compris. (e) Suivant un courant dominant de la philosophie naturelle grecque, le flux des apparences sensibles dissimule la stabilité de l'être. Cette stabilité, ou permanence, s'inscrit successivement dans l'Un Parménidien, dans le plein des atomes de Leucippe et Démocrite, dans les idées platoniciennes, et dans la substance aristotélicienne. Schrödinger note que, si la physique contemporaine ne nous invite pas nécessairement à remettre radicalement en cause chacun des trois énoncés précédents, elle force à en modifier le point d'application jusqu'à rendre méconnaissable leur version simplifiée et véhiculaire, celle qui nous est familière depuis l'élaboration de la science classique. – Dans son essai-préface intitulé «La clôture de la représentation», Michel Bitbol entend faire ressortir le fil conducteur du tableau de la pensée contemporaine que Schrödinger trace dans La Nature et les Grecs. Ce fil conducteur, c'est la mise en évidence du paradoxe d'une science qui, à mesure qu'elle croit approcher de son horizon d'accomplissement ou du mirage de sa parfaite «clôture», est confrontée aux manifestations de son irréparable «ouverture». Une ouverture qui prend, par contraste avec les trois énoncés grecs , le triple aspect d'une quête inachevée de l'objectivité, d'un trouble renaissant concernant l'idée de «comprendre», et d'un basculement du concept de substance (de support permanent de propriétés) au moment même où l'on pense avoir identifié les «constituants élémentaires» de la matière. Les tentatives syncrétistes de comblement de "l'ouverture" laissée par la représentation scientifique du monde apparaissant moins opérantes que jamais, il reste seulement à lui faire face à par une attitude exigeante et retenue: une alliance de respect dû à sa pérennité, et d'idéal mobilisateur produit par le désir à jamais inassouvi de la combler. Schrödinger énumère, dans La Nature et les Grecs, les figures du respect requis. Identifier l'ouverture persistante; la circonscrire plutôt que de tenter de s'en affranchir hâtivement; adopter le doute comme composante méthodologique du travail scientifique; considérer le recueillement, et non le dogme, comme la marque distinctive d'une attitude authentiquement religieuse à laquelle la science ne peut prétendre se substituer. Les exposés didactiques sur les penseurs présocratiques, qui forment l'essentiel de La Nature et les Grecs, apparaissent dans cette perspective comme autant de lieux privilégiés d'exercice de la problématique du respect, voire de la part de silence, qu'esquisse Schrödinger. Ainsi, la pensée parménidienne de l'être inaugure-t-elle un regard en retour sur une absence qui marque les représentations commune et scientifique de la nature. L'assimilation de cette absence à celle de «l'esprit», que privilégie Schrödinger, pourrait être perçue comme la tentation d'une «clôture» spiritualiste si elle n'était tempérée par l'énoncé d'une doctrine machienne des éléments qui fait de l'esprit un versant occulté et un ordre de la représentation plutôt qu'une entité transcendante. Quant à Héraclite, remarque Schrödinger, il ne pose pas «l'objectivation» en tant que principe de la théorie de la connaissance. Il sait garder le silence sur la région des fondements, en conférant à son injonction de s'en tenir à ce qui est «commun à tous» un statut voisin de l'impératif éthique. Démocrite, enfin, est selon Schrödinger le sage qui a su tempérer le caractère d'explication totalisante que possède l'atomisme par un scepticisme longuement mûri. M.-M. V.