L’Esprit et la matière

Précédé de : L’Élision, essai sur la philosophie d'E. Schrödinger par Michel Bitbol

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Monographie

  • Pages : 250
  • Collection : Sources du savoir
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  • Support : Document imprimé
  • Format : 21 cm.
  • Langues : Français
  • Édition : Traduction de l’anglais
  • Ville : Paris
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  • ISBN : 2-02-011469-0
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  • Date de création : 04-01-2011
  • Dernière mise à jour : 13-10-2015

Résumé

Français

Publié en 1958 par Cambridge University Press sous le titre Mind and Matter, ce texte est issu des «Tarner lectures» que Schrödinger donna à Cambridge en 1956. – Le livre associe (a) des réflexions néo-darwiniennes sur l'émergence de l'intelligence au cours de la préhistoire de l'humanité, et (b) une échappée métaphysique consistant à affirmer une double identité: celle des consciences individuelles entre elles et celle de la conscience Une avec le monde. – Dans les deux premiers chapitres de l’ouvrage, consacrés à l'évolution de l'intelligence, Schrödinger adopte et développe une conception originale de la «sélection naturelle» dérivée de la notion de «sélection organique» de Baldwin, Lloyd Morgan et J. Huxley. Selon cette conception, réactualisée par la suite par J. Piaget, le comportement des organismes vivants joue un rôle décisif dans leur évolution, en les dirigeant vers des milieux concentrant la pression de sélection sur des domaines phénotypiques de plus en plus étroits. Elle permet d'expliquer l'apparente directionnalité du processus évolutif, sur un mode Lamarckien, tout en s'en tenant à la thèse darwinienne de la sélection naturelle, et en admettant des mécanismes strictement aléatoires de variation génétique. – Dans les chapitres suivants, Schrödinger développe quelques conséquences de ce qu'il avait appelé le «principe d'objectivation» dans La Nature et les grecs. L'objectivation est l'acte fondateur de la science qui consiste à exclure le sujet connaissant du champ naturel, ou encore à reculer dans le rôle d'un spectateur n'appartenant pas au monde, ce dernier étant ainsi constitué en monde objectif. Parmi les conséquences d'un tel acte, on relèvera particulièrement l'incapacité constitutive dans laquelle se trouvent les sciences objectivantes de rendre intégralement compte de leur propre arrière-plan d'expérience. Schrödinger esquisse à partir de cette remarque une critique précoce du réductionnisme physicaliste dans les sciences de l'esprit. Tentant de remonter en deçà de la prescription d'objectivité, Schrödinger invoque l'expérience fondamentale à laquelle chaque homme serait confronté, et que la pratique et le discours mystiques n'auraient fait que stabiliser et évoquer dans un langage fait de circonlocutions. Cette expérience, c'est celle de l'unicité de «mon monde», du co-surgissement du moi et du monde dans un «ici et maintenant» préalable à la coordination spatio-temporelle. Au regard de cette immédiateté, la théorie dualiste de la connaissance apparaît comme une simple métaphore : celle d'une polarité conçue sur le mode de la relation d'extériorité spatiale qui lui est pourtant logiquement subordonnée. – À partir de là, on comprend que selon Schrödinger, ce qui se joue en physique quantique, ce n'est pas la mise en difficulté d'un dualisme épistémologique et d'une objectivité donnés d'avance (car ils ne sont justement pas donnés d'avance), mais plutôt la possibilité de ré-accomplir à nouveaux frais une œuvre d'objectivation relevant d'une décision d'ordre éthique : celle de «suivre ce qui est commun à tous» (Héraclite). – Dans son essai-préface, M. Bitbol se propose d'évaluer la portée de la proclamation de Schrödinger selon laquelle sa métaphysique est complètement indépendante de sa philosophie de la physique. Il s'agit aussi de mettre en évidence les circulations souterraines entre les deux secteurs de la pensée philosophique de Schrödinger. La raison pour laquelle Schrödinger tenait tant à dissocier sa réflexion métaphysique de sa réflexion sur la théorie physique qu'il a contribué à créer, est qu'il redoutait l'illusion scientiste, autrement dit la croyance que les savoirs objectifs sont capables de remplir complètement le champ de la connaissance. Être affranchi de cette illusion, cela veut dire admettre l'inaccessibilité de la fondation des savoirs objectifs à leur propre méthode. Et cela implique par conséquent de séparer soigneusement le discours scientifique de l'analyse de ses présuppositions. Un équivalent philosophique contemporain de la thèse de Schrödinger est la critique par H. Putnam du programme de "naturalisation de l'épistémologie". Pour autant, la réflexion délibérément extra-scientifique conduite par Schrödinger sur les présuppositions de la démarche scientifique n'est pas restée sans conséquences sur sa façon de pratiquer sa science. Sa critique aigüe du concept de corpuscule matériel, la facilité étonnante avec laquelle il assigne aux nouvelles entités théoriques objectivées de la mécanique quantique que sont les fonctions d'onde un statut de «réalités», et surtout son holisme ontologique, ne sont compréhensibles qu'en tenant compte de ses réflexions métaphysiques. Au total, on s'aperçoit que la philosophie de Schrödinger constitue un réseau plus intégré qu'il ne l'admet, dans lequel les choix métaphysiques et éthiques ne sont pas sans conséquences sur la manière de concevoir les sciences. M.-M. V.